INDEPENDANCE DE LA MAGISTRATURE
L’indépendance du pouvoir judiciaire et la séparation effective de ce pouvoir avec les pouvoirs exécutif et législatif sont cruciales pour promouvoir un véritable Etat de droit. Sans cette indépendance, le principe de l’Egalite de tous devant la loi est difficile voire impossible à réaliser. L’indépendance du juge permet de mettre en place une justice impartiale susceptible d’assurer une égalité de tous les justiciables devant la loi. Face à n’importe quelle autorité publique, y compris le Chef de l’Etat, ou n’importe quel riche Homme d’affaires, le juge doit pouvoir dire le droit en faveur du citoyen ordinaire si les faits relatifs au litige qui les oppose plaident manifestement en faveur de ce citoyen lambda. Au contraire, une justice instrumentalisée politiquement et aux ordres de l’exécutif sera inefficace et porteuse de germes de conflits futurs.
Comme la démocratie et l’Etat de droit, l’indépendance de la magistrature est une quête continue et un combat permanent ou encore un idéal à poursuivre. Sans l’indépendance de la magistrature, il ne peut y avoir de démocratie digne de ce nom ni de véritable Etat de droit. Il est important de souligner que l’indépendance de la magistrature n’est pas une fin en soi, mais un moyen qui permet de rendre une justice bonne, saine et efficace.
L’indépendance de la magistrature n’est pas absolue. En réalité, il s’agit d’évaluer et d’améliorer constamment le degré d’indépendance de la justice et son effectivité. Par ailleurs, au-delà des textes qui régissent ce domaine, une analyse de la pratique est fondamentale, car il peut exister un écart plus ou moins important entre les textes et la pratique.
La présente note sur l’indépendance de la magistrature se propose de passer d’abord en revue les principaux facteurs qui permettent d’évaluer et d’influer sur la justice et le niveau d’indépendance d’un pouvoir judiciaire quel qu’il soit. Comme il n’existe pas deux systèmes judiciaires identiques d’un point de vue théorique et pratique, il faut donc éviter toute généralisation et considérer les spécificités de chaque pays.
En deuxième lieu, à la lumière de ces éléments, quelques observations sur les principales spécificités du Burundi retiendront brièvement mon attention.
I. Principaux facteurs à prendre en compte
1.1. Délimitation du champ d’application
On entend parler de l’indépendance de la justice, de la magistrature, du juge ou encore du pouvoir judiciaire. Comme la finalité recherchée reste la même, je vais me contenter d’apporter quelques précisions qui me paraissent nécessaires pour une bonne compréhension du sujet. Tout bon système judiciaire repose sur deux principes fondamentaux, à savoir l’indépendance et l’impartialité.
Dans certains pays, on parle d’autorité judiciaire et non de pouvoir judiciaire. Ce choix terminologique traduit généralement une réticence à donner aux juges un véritable pouvoir et à ne pas les considérer comme un pouvoir au même titre que les pouvoirs exécutif et législatif.
Au sein de la magistrature, d’une part il y a les juges, les magistrats du siège ou encore les magistrats assis dont le rôle est de trancher, par une décision de justice, les litiges qui leur sont soumis. Leur mission est de faire respecter la loi, de protéger les droits fondamentaux de toute personne humaine et les libertés individuelles. Ils tranchent en âme et conscience, à partir des faits. Ils doivent faire abstraction de toutes sortes de pressions, que celles-ci soient d’ordre politique, social ou matériel, et qu’elles proviennent des milieux institutionnels, politiques, de la société civile, du monde des affaires ou encore de l’environnement socio-culturel. Les juges ne doivent pas non plus profiter des garanties et des protections qui leur sont octroyées pour prendre des décisions injustes et abuser ainsi de leurs pouvoirs.
D’autre part, il y a le parquet, les procureurs/substituts du procureur ou encore les magistrats debout. Leur mission est de requérir l’application de la justice, de poursuivre les criminels et de protéger ainsi la société contre ces derniers. Ils sont au cœur du système pénal qui comprend aussi les forces de police.
L’indépendance des magistrats debout est plus problématique que celle des magistrats assis. En effet, un procureur ou un substitut du procureur est sous la direction et le contrôle de son chef hiérarchique, mais il est souvent soumis à l’autorité hiérarchique de l’exécutif, principalement à travers le ministre de la justice. Ce dernier qui appartient au pouvoir exécutif peut instruire le parquet qui relève du pouvoir judiciaire de poursuivre ou de classer une affaire. Ces instructions peuvent être uniquement générales, mais elles peuvent aussi viser des cas individuels. Dans ces cas de figure, l’indépendance des magistrats du parquet est mise en cause dans une certaine mesure et le principe de la séparation des pouvoirs est écorché par l’organisation d’un tel appareil judiciaire.
1.2. Personnalité du magistrat
Au-delà des qualifications juridiques requises pour exercer ses fonctions, le magistrat doit être intègre et d’une grande moralité. Ces qualités sont indispensables pour juger en âme et conscience, afficher son impartialité en résistant aux pressions diverses et même en les combattant d’une manière ou d’une autre.
1.3. Institutions et organes externes impliqués dans les décisions affectant la magistrature
Il y a trois catégories d’acteurs en dehors de l’appareil judiciaire qui peuvent prendre des décisions susceptibles d’affecter l’indépendance et l’impartialité de la magistrature : le Conseil Supérieur de la Magistrature, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
1.3.1. Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM)
D’un CSM à un autre, ses missions varient plus ou moins sensiblement. Les missions qui reviennent le plus souvent sont les suivantes : garantir l’indépendance des magistrats ; gérer ou participer à la gestion de leur carrière (recrutement, affectation, nomination, évaluation, promotion, sanctions) et à l’établissement du budget du CSM et/ou des tribunaux, selon que le CSM prend des décisions ou se limite à donner des avis.
La composition du CSM, sa présidence et les modalités de sa mise en place constituent des indicateurs importants d’indépendance. Le rôle joué par les membres de l’exécutif au sein du CSM mérite une attention particulière, tout comme les mécanismes de nomination ou d’élection des membres du CSM. A mesure que le rôle de l’exécutif s’accentue, il affecte de plus en plus négativement le niveau d’indépendance du Conseil et de la magistrature.
1.3.2. Au sein du pouvoir exécutif
En plus de ce que le pouvoir exécutif peut faire à travers le CSM, il est aussi doté de prérogatives propres prévus notamment par la Constitution et d’autres textes de lois. Ces attributions influent inévitablement sur l’indépendance de la magistrature.
Le Président de la République, appelé le Magistrat Suprême, est le garant de l’indépendance de la justice et, à ce titre, il est mis à la tête du CSM dans beaucoup de pays. Les autres dispositions constitutionnelles ou légales impliquant le Chef de l’Etat dans le domaine de la justice sont les suivantes : (i) lorsque des circonstances particulières graves le requièrent ou même l’exigent, le Président peut déclarer l’Etat d’exception ou l’Etat d’urgence lesquels généralement confèrent au pouvoir exécutif des pouvoirs exceptionnellement étendues qui peuvent empiéter sur les pouvoirs de la magistrature ; (ii) en recourant à son droit de grâce, le Président peut revoir, entièrement ou partiellement, la peine infligée conformément à la loi par des juges à un condamné. Il s’agit d’une mesure individuelle prise par le seul Président de la République. Cependant, la condamnation reste inscrite dans le dossier judiciaire de la personne graciée ; (iii) l’amnistie est une mesure générale qui touche toutes les personnes ayant commis ou étant accusées d’avoir commis la ou les infractions précisées dans la loi d’amnistie. Comme il s’agit d’une loi, elle est adoptée par le pouvoir législatif, mais elle est souvent initiée par l’exécutif et promulguée par le Président de la République ; (iv) lorsqu’une matière affectant d’une manière ou d’une autre la magistrature n’est pas du domaine de la loi et relève d’un simple décret, celui-ci est adopté par le seul pouvoir exécutif et signé par ses représentants.
Quant au Ministre de la justice, il peut intervenir dans la gestion de la carrière des magistrats en prenant l’initiative d’un certain nombre de décisions confirmées par le Président de la République ou le CSM. En fonction des pays, le Ministre de la justice a des pouvoirs plus ou moins considérables dans ses relations avec le Parquet suivant l’autorité qu’il exerce sur ce dernier.
1.3.3. Au sein du pouvoir législatif
En plus de la loi d’amnistie, le Pouvoir législatif peut adopter de nombreux autres textes de lois qui peuvent affecter, positivement ou négativement, l’indépendance et l’impartialité de la magistrature et du CSM. Sauf en cas de proposition de loi (initiée par le législatif, par opposition au projet de loi initié par l’exécutif), l’exécutif apparait au début et à la fin du processus législatif par la promulgation, mais le rôle du Pouvoir législatif reste prépondérant.
1.4. Questions liées à l’organisation et au fonctionnement de la magistrature
1.4.1. Inamovibilité
Dans beaucoup de pays, il est courant de voir des mutations disciplinaires voire des promotions dont l’objectif est de retirer un dossier des mains du magistrat sanctionné/promu ou de l’éloigner d’une juridiction parce qu’il n’est pas suffisamment docile ou, autrement dit, parce qu’il prend ses décisions « en âme et conscience », sans tenir compte des pressions ou menaces exercées contre lui.
Pour pallier ces abus, l’inamovibilité du juge a été instaurée comme principe fondamental de l’indépendance de la magistrature. En principe, un juge, du siège en particulier, ne peut pas être affecté ailleurs sans son consentement. Cependant, en permettant des restrictions au principe d’inamovibilité justifiées par les « nécessités du service », on a ouvert la « boite de Pandore » et permis de nombreuses affectations sans l’accord du juge concerné.
L’inamovibilité des magistrats debout est moins rigoureuse et peut être quasi-inexistante dans certains pays.
1.4.2. Récusation
La récusation permet de garantir l’impartialité des magistrats. Elle peut provenir du magistrat lui-même lorsque qu’il estime que sa proximité avec un autre magistrat, un avocat ou une partie au litige peut affecter son objectivité/impartialité/indépendance dans la gestion d’une affaire déterminée. La récusation peut aussi provenir d’une partie au litige qui estime, par exemple, que la proximité (lien de parenté entre autres motifs) entre l’autre partie et un juge peut affecter l’impartialité de ce dernier. La partie engage ainsi une procédure de récusation laquelle intervient généralement au début du procès.
1.4.3. Voies de recours
Les décisions d’un juge unique ou celles de juges siégeant collégialement ne peuvent être mises en cause qu’au moyen des voies de recours devant une juridiction supérieure. Le nombre de recours sur le fond d’une affaire est généralement limité à un, raison pour laquelle on parle du principe du double degré de juridiction.
De plus en plus, les pays s’intègrent dans des organisations régionales et internationales qui ont mis en place des juridictions régionales et internationales. Des lors qu’un pays acceptent la compétence de ces juridictions, des affaires peuvent être déférées devant ces juridictions pour être tranchées directement ou à titre de voie de recours après épuisement des procédures internes.
1.4.4. Carrière du magistrat : Recrutement – Affectation - Nomination - Evaluation - Promotion - Sanctions
L’instrumentalisation et la politisation de la justice s’opère facilement à travers la carrière des magistrats lorsque celle-ci n’est pas régie par des textes qui cherchent à promouvoir l’indépendance de la magistrature. Il y a beaucoup de pays où les magistrats sont à la merci du pouvoir exécutif. Lorsque les processus de recrutement, d’affectation, de nomination, d’évaluation, de promotion et de sanctions sont caractérisés par l’arbitraire et le manque de transparence, tout est possible : des nominations, des promotions ou des sanctions abusives ; des promotions fondées sur des facteurs subjectifs ou inadéquats tels que le militantisme ou l’allégeance politique.
Si le recrutement des magistrats ne doit pas considérer les origines des candidats, le recours ponctuel à la politique d’affirmative action peut être toléré si les candidats répondent à l’exigence des critères de formation. Lorsqu’il y a un important déficit de confiance entre la population et le corps judiciaire dû à des raisons socio-politiques, une telle politique peut s’avérer bénéfique.
1.4.5. Questions budgétaires
La magistrature dispose-t-elle des ressources nécessaires pour assurer ses fonctions de manière satisfaisante ? Le budget alloué au secteur de la justice reflète d’une certaine manière l’importance qui lui est accordée.
La deuxième question est celle de savoir qui lui octroie et gère ces ressources ? Si aucune autonomie budgétaire n’est accordée au pouvoir judiciaire, parler d’indépendance de la magistrature est quelque peu illusoire.
1.4.6. Conditions de vie
Il faut accorder aux magistrats des conditions de vie décentes voire bonnes pour qu’ils puissent satisfaire leurs besoins de base et soient à l’abri des tentations auxquelles il est difficile de résister sans le minimum vital pour soi et sa famille. Au-delà de la rémunération, la sécurité et la pension des magistrats sont aussi des facteurs à prendre en compte.
II. Principales spécificités du Burundi
Le Burundi est à classer dans la catégorie des pays où il existe un écart relativement important entre les textes et la pratique. Dans un premier temps, je voudrais relever les principales dispositions constitutionnelles qui sont favorables à l’indépendance de la magistrature. Ensuite, s’agissant de la pratique, une analyse succincte de quelques facteurs va montrer que, pour atteindre un niveau satisfaisant d’indépendance de la magistrature au Burundi, le chemin à parcourir reste long et parsemé d’embûches.
2.1. Principales dispositions constitutionnelles qui sont favorables à l’indépendance de la magistrature
Ce sont les dispositions suivantes de la Constitution de la République du Burundi du 7 juin 2018 :
- « Le Gouvernement respecte la séparation des pouvoirs, la primauté du droit et les principes de bonne gouvernance et de transparence dans la conduite des affaires publiques » (article 18).
- « Le pouvoir judiciaire est impartial et indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Dans l'exercice de ses fonctions, le juge n'est soumis qu'à la Constitution et à la loi. Le président de la République, chef de l'État, est garant de l'indépendance de la Magistrature. Il est assisté dans cette mission par le Conseil Supérieur de la Magistrature » (article 214).
- « Le Conseil Supérieur de la Magistrature veille à la bonne administration de la justice. Il est le garant de l'indépendance des magistrats du siège dans l'exercice de leurs fonctions » (article 215).
- « Le Conseil Supérieur de la Magistrature est la plus haute instance disciplinaire de la magistrature. Il connaît des plaintes des particuliers ou de l'ombudsman concernant le comportement professionnel des magistrats ainsi que des recours de magistrats contre des mesures disciplinaires ou des réclamations concernant leur carrière » (article 216).
- « Un magistrat ne peut être révoqué que pour faute professionnelle ou incompétence, et uniquement sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature » (article 217).
Il est à noter que l’article 215 fait du CSM un organe uniquement garant de l’indépendance des magistrats du siège. L’autorité du ministre de la justice sur les magistrats du parquet est sans équivoque dans le contexte du Burundi.
2.2. Analyse succincte de quelques facteurs pouvant influer sur l’indépendance de la magistrature
2.2.1. Facteurs liés à la carrière des magistrats
De manière générale, les affectations, les nominations et les promotions des magistrats sont faites par le Président de la République sur proposition du ministre de la justice. Le CSM qui est présidé par le Chef de l’Etat n’émet qu’un avis. Cependant, l’approbation du Sénat est requise pour les nominations aux fonctions suivantes :
- Les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature ;
- Le Président de la Cour Suprême et les membres de la Cour Suprême ;
- Le Président de la Cour Constitutionnelle et les membres de la Cour Constitutionnelle ;
- Le Procureur Général de la République et les magistrats du Parquet Général de la République ;
- Le Président de la Cour Anti-corruption et les membres de cette Cour ;
- Le Procureur Général près la Cour Anti-corruption et les magistrats du Parquet Général près cette Cour ;
- Le Président de la Cour d'Appel et le Président de la Cour Administrative ;
- Le Procureur Général près la Cour d'Appel ;
- Les Présidents des Tribunaux de Grande Instance, du Tribunal de Commerce et du Tribunal du Travail, et tous les responsables des autres juridictions ayant un rang égal ou supérieur et leurs membres ainsi que les procureurs et les substituts près ces juridictions en fonction de leur rang ;
- Les procureurs de la République.
Le principe de l’inamovibilité des magistrats est complètement ignoré puisqu’à tout moment, un magistrat peut être affecté, nommé et promu n’importe où si le Président de la République et le Ministre de la justice en ont pris la décision. Ces deux autorités n’ont pas à justifier leur choix et par conséquent, leurs décisions peuvent être arbitraires et être fondées sur des facteurs subjectifs/politiques. Sans être consultés, les magistrats peuvent ainsi passer du siège au parquet ou l’inverse. Les magistrats sont forcément fragilisés dans de telles circonstances lesquelles peuvent influer négativement sur l’état d’esprit et les décisions des magistrats peu courageux ou à l’intégrité et à la moralité chancelantes.
Quant à l’avis du CSM (présidé par le Chef de l’Etat et dont le ministre de la justice en est le secrétaire), ce n’est qu’une simple formalité en fin de compte.
S’il est vrai que la Constitution stipule que les juges de la Cour suprême ainsi que les membres de la Cour Constitutionnelle sont choisis parmi les magistrats ou les juristes « reconnus pour leur intégrité morale, leur impartialité et leur indépendance », le choix est laissé à la discrétion des deux membres de l’exécutif.
L’intervention du Sénat dans la nomination de ces responsables du pouvoir judiciaire n’est pas symbolique d’autant plus que la Constitution donne au Sénat le mandat de veiller à un certain nombre d’équilibres. Vu la nature et la composition du Sénat, cette procédure revêt un cachet politique.
La correction des déséquilibres ethniques et de genre au sein de l’appareil judiciaire était une des recommandations importantes de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi de 2000. C’est pourquoi l’article 213 de la Constitution prévoit que « le pouvoir judiciaire est structuré de façon à refléter dans sa composition l'ensemble de la population. Les procédures de recrutement et nomination dans le corps judiciaire obéissent impérativement au souci de promouvoir l'équilibre régional, ethnique et l'équilibre de genres. La magistrature comprend au plus 60% de Hutu et au plus 40% de Tutsi. Il est assuré un minimum de 30% de femmes”.
La promotion des équilibres divers, notamment par l’introduction des quotas dans le domaine judiciaire, ne conduira pas à l’administration d’une bonne justice si les magistrats quels qu’ils soient ne sont pas compétents et intègres, et si l’indépendance de la magistrature n’est pas garantie.
2.2.2. Conseil Supérieur de la Magistrature
Je voudrais rappeler que l’article 215 de la Constitution prévoit que « le Conseil supérieur de la magistrature veille à la bonne administration de la justice. Il est le garant de l'indépendance des magistrats du siège dans l'exercice de leurs fonctions ». Par ailleurs, « Le Conseil supérieur de la magistrature est la plus haute instance disciplinaire de la magistrature. Il connaît des plaintes des particuliers ou de l'ombudsman concernant le comportement professionnel des magistrats ainsi que des recours de magistrats contre des mesures disciplinaires ou des réclamations concernant leur carrière » (article 216). Quant à l’article 218, il précise que le CSM « assiste le Président de la République et le Gouvernement dans : (1) l’élaboration de la politique en matière de justice ; (2) le suivi de la situation du pays dans le domaine judiciaire et dans celui des droits de l’homme ; (3) l’élaboration des stratégies en matière de lutte contre l’impunité ».
Une nouvelle loi organique sur l’organisation et le fonctionnement du CSM a été promulguée le 23 janvier 2021. La nouvelle loi apporte des innovations qui donnent au CSM des pouvoirs exorbitants. Au regard des dispositions ci-après, de nouvelles missions sont assignées au CSM :
- « Statuer sur les plaintes des particuliers ou de l’Ombudsman concernant (…) les mal-jugés manifestes coulés en force de chose jugée » (article 3.6) ;
- « Enjoindre aux organes compétents d’engager des poursuites en cas d’infraction et en faire le suivi » (article 3.7) ;
- « Contrôler la qualité des jugements, arrêts et autres décisions judiciaires dénoncés ou portés à la connaissance du Conseil ainsi que leurs mesures d’exécution » (article 3.8).
L’article 5 stipule que « lorsqu’aucune voie de recours judiciaire n’est plus ouverte en faveur du requérant, le CSM, s’il estime le recours recevable, peut prendre toute mesure de redressement notamment pour cause d’intérêt social évident ».
En définitive, les décisions du CSM n’étant susceptibles d’aucun recours, ces nouvelles dispositions font du CSM une nouvelle juridiction de fait, supérieure à toutes les autres, y compris la Cour Supreme qui est pourtant « garante de la bonne application de la loi par les cours et tribunaux » (article 227 de la Constitution).
La Cour Constitutionnelle a statué que cette loi organique était conforme à la Constitution, et ce malgré les contradictions apparentes entre ces deux textes. De là à y voir un manque d’indépendance de la Cour Constitutionnelle vis-à-vis du pouvoir exécutif, il n’y a qu’un pas que chacun est libre de franchir ou pas.
Concernant la composition du CSM, il est à noter que sur les 13 membres du CSM, six sont des juges élus par leurs pairs tandis que les autres (y compris le Président de la Cour Suprême) sont choisis par le Président de la République. Ce dernier peut donc facilement avoir la mainmise sur le CSM.
En matière de récusation, une personne qui saisit le CSM pourra récuser tout membre dudit Conseil pour des raisons bien précises, à l’exception du Président du CSM, c’est-à-dire le Chef de l’Etat. Cette exception est injustifiée.
Compte tenu des considérations ci-dessus, il est difficile de croire qu’aujourd’hui, le CSM et le Président de la République puissent être les garants de l’indépendance de la magistrature. Les enjeux relatifs à l’indépendance de la magistrature sont tellement importants que cette question ne devrait laisser personne indifférent !
Monsieur Eugène NINDORERA