CONSEILS PRATIQUES POUR LES DIFFERENTES REVENDICATIONS SUR LES GENOCIDES AU BURUNDI
Lorsque nous approchons les mois d’Avril et d’Octobre de chaque année, nous lisons sur les réseaux sociaux des revendications, des réclamations, des polémiques sur la reconnaissance des génocides contre les Hutu et les Tutsi du Burundi. Et cela malgré la signature d’un Accord historique à Arusha qui consacrait après d’âpres négociations les principes d’un processus de réconciliation censé ramener la paix et la réconciliation au BURUNDI. Pourquoi les Barundi sont-ils condamnés à toujours ressasser les mêmes problèmes, ramener toujours les mêmes revendications et cela dans des démarches qui ne peuvent que continuer à exacerber les tensions, les divisions entre les fils et les filles d’un même pays, d’une même patrie ?
En vérité je vous le dis, vous n’aboutirez à aucune reconnaissance d’un quelconque génocide au BURUNDI, que vous vous étiquetiez hutu ou tutsi, si vos démarches, vos commémorations, vos revendications n’évoluent pas pour ne plus être source d’inimitié, de conflit permanent, et réellement rechercher la vérité sur notre histoire aussi pénible soit-elle. Permettez-moi, par ma petite expérience politique et mon statut de signataire de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au BURUNDI, auquel je crois encore, de vous donner quelques informations, quelques vérités et quelques conseils pour mieux diriger vos revendications et si vous êtes vraiment sincères, si vous êtes à la recherche profonde de la vérité, de la reconnaissance des crimes commis contre des compatriotes innocents, de rebâtir les cœurs des Barundi pour une réconciliation véritable et sincère, pour le PLUS JAMAIS ÇA.
Comme disait le Prince Louis RWAGASORE, ce que je vais vous dire, « je le dirais très simplement, mais je le dirais avec cette franchise pénible pour les uns, réconfortante pour les autres, et qui m’a valu des antipathies car toute vérité n’est pas bonne à dire. L’expérience m’a montré aussi que la vérité et l’honnêteté finissent toujours par triompher » (Prince Louis RWAGASORE Exposé devant les membres de la CCIB -1960). Il y a un principe de vie majeur que nos ancêtres nous ont légué et qu’on a tendance à oublier, UBUNTU : UBUNTU TWARAZWE NA BA SOKURU BUDUTEGEKA KWUBAHA NO KUGIRA UBUNTU KUKIREMWA MUNTU COSE KUKO DUSANGIYE UBUNTU. (Intraduisible, n’essayez pas)
Le 29 Février 2000, à Arusha et quelques mois avant la signature de l’Accord d’Arusha, dans un communiqué intitulé LES RENDEZ-VOUS MANQUES ENTRE BURUNDAIS- DE 1962 à 2000, j’écrivais ceci : « La problématique burundaise est souvent présentée comme étant un antagonisme viscéral entre les principales composantes du peuple Murundi, les Hutus et les Tutsis. Et les négociations d’Arusha sont vues par certains acteurs de ces négociations…comme un nouveau champ de bataille entre ces composantes qui doit amener la victoire de l’un sur l’autre. Si c’est cet esprit qui prédomine à Arusha, nous risquons d’aboutir à une aggravation de nos problèmes et à une paix forcée qui ne sécurisera personne et surtout pas l’avenir de notre pays et de nos enfants…… Dans cette contribution au processus de paix,… nous voulons montrer que le véritable antagonisme se trouve entre des Burundais (Hutus et Tutsis) qui veulent se maintenir dans des ghettos sectaires et des Burundais (Hutus et Tutsis) qui veulent vivre en un pays uni… Nous voulons que ce rendez-vous de la paix ne soit pas un autre rendez-vous raté comme l’ont été beaucoup d’autres à travers notre histoire. » Malheureusement, au vu de ce qui se passe aujourd’hui au BURUNDI et l’orientation des revendications sur les « génocides », le constat est pénible : Encore un autre rendez-vous manqué pour la paix au BURUNDI.
Dans ce même communiqué j’ajoutais sur le titre 1) Le rendez-vous manqué de la vérité : « Nous sommes convaincu que la paix pérenne passera par la recherche de la vérité sur l’exclusion et le génocide…. Malheureusement, malgré bientôt deux ans de négociation, la recherche et l’acceptation de la vérité manquent toujours et la globalisation qui favorise les criminels est toujours présente dans nos débats.
* Est-il si difficile de refuser la globalisation qui fait de tout Tutsi un dominateur et de tout Hutu un génocidaire ?
* Est-il si difficile de reconnaitre que les Bahutus ont été exclus à certaines époques de notre histoire, mais que des Batutsis l’ont été aussi, non par des Tutsis, mais par des pouvoirs monarchiques et autocratiques ?
* Est-il si difficile d’accepter que des actes de génocide ont été commis en 1972 par la rébellion contre des populations tutsis et par le pouvoir en place contre des populations hutus ?
* Est-il si difficile d’accepter que l’élimination en trois jours de 60% de la population tutsie de KARUSI en 1993, que brûler vifs 70 élèves à KIBIMBA, découlent d’actes de génocide ?
Oui, cela est difficile si on se sent coupable, si on cautionne ce qui a été fait, si on est prêt à recommencer à la moindre occasion. »
Plus récemment, j’interpellais les Burundais sur les « génocides » en disant ceci : « Les dates des différents drames meurtriers que les uns et les autres mettent en avant montrent à eux-seuls qu’aucun groupe ne peut prétendre avoir souffert seul ! 1965, 1972, 1993 à ce jour, nous partageons la même souffrance, mais nos haines et nos rancœurs nous la font présenter différemment….! La majorité des Barundi pleurent d’un seul œil tandis que l’autre rempli de rancœurs rumine et se délecte dans la vengeance ! Seule la vérité les sauvera ! »
A tous ceux qui revendiquent à juste titre la reconnaissance des différents « génocides » au BURUNDI, je voudrais simplement leur dire que la marche à suivre n’est pas celle que vous empruntez depuis longtemps. Les groupes (Hutus et Tutsis) des protagonistes qui veulent nous maintenir dans des ghettos sectaires ne veut pas que la vérité éclate, ne veut pas d’une possible réconciliation et fera toujours tout pour que vos récriminations ne restent qu’à cet état là sans jamais trouver de solutions. Tant que vous n’en prendrez pas conscience, tant que vous vous laisserez manipuler par ce groupe de gens, jamais vous n’arriverez à la vérité et partant à une réelle réconciliation des Barundi.
Vous qui revendiquez pour 1972, vous nous invitez pour le 29 Avril. Je suis de tout cœur avec vous. Mais vous semblez oublier que ce jour-là des populations d’origine tutsi ont été décimées sur cette base-là par une rébellion se déclarant hutu, donc des actes de génocide. Et aussi, ce jour-là le dernier Roi du BURUNDI, Charles NDIZEYE NTARE V fut sauvagement assassiné six ans après avoir été détrôné, quel gâchis. Commémorez-vous cela aussi ou simplement le début de la rébellion, en partie à l’origine sans le justifier de ce qui a suivi contre les Hutus? Les actes de génocide contre les populations d’origine hutu qui ont suivi sont à condamner absolument et je suis de tout cœur avec vous pour la recherche de la vérité, c’est ce que j’ai signé à Arusha et j’y crois ! Mais la vérité de 1972 est indissociable, elle nous appartient et nous interpelle tous.
Vous qui revendiquez pour 1993, vous vous appuyez à juste titre sur le Rapport des Nations-Unies de 1996. Je suis de tout cœur avec vous. Je suis parmi ceux qui ont milité pour le Monument de KIBIMBA à l’abandon aujourd’hui. Mais vous semblez oublier que le 21 Octobre 1993, tout un Gouvernement a failli être décimé par un acte de rébellion qui a ôté la vie au Président de la République et qui est en partie à l’origine sans le justifier de ce qui a suivi contre les Tutsis! Ce Rapport des Nations-Unies en parle abondamment dans sa première partie, mais vous semblez lire seulement la seconde partie. La vérité de 1993 est indissociable, elle nous appartient et nous interpelle tous.
Revenons à l’Accord d’Arusha pour vous montrer à quel point vous continuez à vous faire manipuler par ceux qui ne veulent pas que la vérité se sache, que la réconciliation du peuple Murundi soit établie, pour des raisons qu’il faudra bien élucider un jour. Vous constaterez aussi la grande hypocrisie de certains hommes politiques qui signent ce en quoi ils ne croient pas et qui continuent à parler de paix sans mettre en pratique ce qui pourrait effectivement ramener la paix et la réconciliation au BURUNDI.
Dans le Protocole I Article 3 point 3 nous disions ceci : « Néanmoins, sans préjudice des résultats des travaux de la Commission d'enquête judiciaire internationale et de la Commission nationale pour la vérité et la réconciliation, qui doivent être établies en application du Chapitre II du présent Protocole, afin de faire la lumière sur les phénomènes en question, les Parties reconnaissent que des actes de génocide, des crimes de guerre et d'autres crimes contre l'humanité ont été perpétrés depuis l'indépendance contre les communautés ethniques hutu et tutsi au Burundi ». Cela veut dire en clair que les Parties signataires de l’Accord d’Arusha (Hommes politiques d’origine hutu et tutsi ensemble) ont déjà reconnus, une sorte de reconnaissance nationale, ce que vous tous, encore aujourd’hui, vous revendiquez chacun de son côté. Et c’est cela que certains hommes politiques vous cachent pour qu’au moment où ils le veulent ils vous poussent à revendiquer, mais malheureusement sans suite, juste pour manipuler une population ignorante de tout cela ! Mais la reconnaissance nationale ne suffit pas pour ce genre de crimes. Il faut des mesures d’accompagnement pour la réconciliation et une reconnaissance internationale. C’est ce que nous avons fait au niveau de l’article 6 de ce même Protocole qui regroupe les principes d’ordre politique et d’ordre juridique pour la lutte contre le génocide et la reconnaissance des actes de génocide. Je me permets de le mettre en intégralité car il me semble vraiment important pour tous ceux qui revendiquent de bonne foi de connaitre la vérité et d’aller vers la réconciliation véritable sans être manipulés « par des politiciens sans envergure ni culture » (Martin NDAYAHOZE).
Article 6
Principes et mesures relatifs au génocide, aux crimes de guerre et autres crimes contre l'humanité
Principes et mesures d’ordre politique
- La promotion d'un front national inter-ethnique de résistance contre le génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l'humanité, ainsi que contre la globalisation et la culpabilisation collective.
- L'érection d'un monument national à la mémoire de toutes les victimes de génocide, de crimes de guerre ou autres crimes contre l'humanité avec ces mots : «PLUS JAMAIS ÇA».
- L'instauration d'une Journée nationale de commémoration pour les victimes de génocide, de crimes de guerre ou autres crimes contre l'humanité, ainsi que des mesures permettant l'identification des fosses communes et l'enterrement des victimes dans la dignité.
Principes et mesures d'ordre juridique
- La promulgation d'une législation contre le génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l'humanité et toute violation des droits de l'homme.
- La demande, par le Gouvernement de transition, de la mise en place par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, d'une Commission d'enquête judiciaire internationale sur le génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l'humanité qui aura pour mission :
- a) D'enquêter et d'établir les faits couvrant la période allant de l'indépendance à la date de signature de l'Accord;
- b) De les qualifier;
- c) D'établir les responsabilités;
- d) De soumettre son rapport au Conseil de sécurité de l'ONU;
- e) La Commission se servira de tous les rapports existant déjà à ce sujet, notamment le rapport Whitaker de 1985, le rapport des ONG de 1994, le rapport de 1994-95 des Ambassadeurs Siméon Aké et Martin Houslid, ainsi que le rapport de la Commission internationale d'enquête des Nations Unies de 1996.
- La demande, par le Gouvernement du Burundi, de l'établissement, par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, d'un Tribunal pénal international chargé de juger et punir les coupables, au cas où le rapport établirait l'existence d'actes de génocide, de crimes de guerre et autres crimes contre l'humanité.
Le constat est malheureux qu’aucun de ses articles salvateurs n’a été mis en application depuis la signature de l’Accord à ce jour, je dirais même que tout le Protocole I a été ignoré dans l’application de l’Accord ! Et vous vous demandez pourquoi nous sommes encore dans une situation de guerre, d’incompréhensions, de tensions extrêmes, de guerre civile larvée. Beaucoup critiquent l’Accord d’Arusha surtout sur base des « quotas ethniques », mais c’est ignorer que l’Accord d’Arusha est un tout complexe qui ne peut réussir que si tous les Protocoles sont appliqués dans leur intégralité. Refuser d’appliquer le Protocole I nous a condamnés à retourner dans des revendications pour lesquelles nous nous sommes convenu sur les solutions. J’en suis signataire et comme je crois et milite pour la réconciliation du peuple Murundi, je ne peux que demander aux uns et aux autres de le lire en intégralité et vous comprendrez ce qu’on vous cache et je suis sûr que vous revendiquerez cette fois ci en connaissance de cause. Demandez-vous déjà avec moi pourquoi les différents Gouvernements depuis la Transition, aucun n’a osé appliquer un seul de ces articles.
Chers compatriotes, lorsque vous vous regardez dans un miroir, vous ne pouvez cacher vos imperfections. Pour la recherche de la vérité au BURUNDI, regardez-vous dans un miroir et ne cachez plus rien, corrigez ! Ceux qui vous observent les voient. Que vos différentes associations s’associent pour la recherche de la vérité et pour demander que ces articles salvateurs soient appliqués et la Nation Burundaise vous sera reconnaissante. C’est seulement en travaillant ensemble que vos revendications pourront donner des résultats utiles. Peut-on y rêver ? La Commission Vérité et Réconciliation, si elle est vraiment indépendante, devrait aider à mettre en pratique cette proposition.
Dr Alphonse RUGAMBARARA
Pour la Réconciliation du Peuple Murundi, je reste debout