COURRIER DES LECTEURS
L’Association Culturelle pour le Progrès au Burundi est née en 1990 dans l’objectif principal de permettre à l’élite de cette époque de discuter des problèmes du Burundi, de débattre sans animosités, sur les problèmes anciens et nouveaux, surtout les questions identitaires, l’Etat de Droit, la Démocratie, le développement.
L’échange que nous vous proposons nous a semblé toujours d’actualité et nous vous invitons à le lire et poursuivre ce débat sur notre site ou entre vous.
A propos de la « conscience ethnique » Joseph NZOKIRANTEVYE pour le MEPROBA-Belgique (Mouvement de Etudiants Progressistes Barundi)
Votre mensuel « LE REVEIL » a publié un article de Monsieur Alphonse Rugambarara sur la Conscience ethnique (cfr LE REVEIL n° 004 - Juillet/Août 1990, PP. 35-39). Le document évoque des problèmes importants de terminologie (tribu, ethnie, caste, classe, Etat, nation, idéologie), de méthodologie historique et de choix socio-politique.
Nous avons relevé entre autres le passage suivant : « Comment caractériser le Hutu, le Tutsi, le Twa d’aujourd’hui ?... Une entreprise bien difficile ! Mais je serai tenté de voir dans l’utilisation des termes hutu, tutsi (Ganwa et Twa n’étant que de faire valoir), dans le maintien de catégories appartenant à un autre âge, une volonté de créer et de maintenir une idéologie tutsi, une idéologie hutu… Certains me rétorqueront qu’on peut discuter longtemps pour savoir si les hutu, les tutsi du Burundi constituent un peuple, une ethnie ou une tribu, ou qu’un individu a tout à fait le droit de signer et de proclamer tout haut son appartenance tribale, régionale, religieuse ou autre ! J’en conviens, mais ne mélangeons pas les époques… Remettons les pendules à l’heure ! Parlons plutôt de hutistes, tutsistes, au lieu d’ethnies hutu, tutsi, twa (LE REVEIL n°4, PP. 36-37).
De toute évidence, Monsieur Rugambarara se réfère au MEPROBA –Belgique, sans avoir toutefois le courage de le citer nommément. Il a hélas tronqué nos propos et les a inclus indûment dans un contexte tendancieux qui le dénature. Aussi, vous demandons-nous de publier les rectifications que voici :
- Comme nous l’écrivons en novembre 1989, « on peut discuter longtemps pour savoir si les hutu du Burundi constituent un peuple, une ethnie ou une tribu » (Voie du Progrès, n°19, novembre 1989, p. 44). Ce fait est d’ailleurs confirmé par le débat que relance Monsieur Rugambarara. Mais notre phrase ci-dessus était flanquée de cette autre : « Du moment qu’on accorde le même statut aux groupes tutsi et twa, les bases d’un dialogue utile restent sauves » (Voie du Progrès n°19, p. 44).
Le MEPROBA est donc d’avis que les catégories hutu, tutsi et twa sont de la même façon. Contrairement aux insinuations de Monsieur Rugambarara, cette thèse n’a point de parenté avec le hutisme, le tutsisme, la marginalisation des twa et les théories ETHNOLOGIQUES appartenant à un autre âge.
- Nous avons estimé aussi que l’individu a tout à fait le droit de soigner et de proclamer tout haut son appartenance tribale, régionale, religieuse et autre. (Voie du Progrès, n°19, p. 38) ; mais cela, à une condition bien précise, énoncée à la suite de l’extrait ci-avant. L’individu a le droit de tout faire, avons-nous écrit, « pourvu qu’il respecte tous les droits et les devoirs que les autres habitants et lui-même tirent de leur qualité de citoyen(ne)s burundais(e)s » (Voie du Progrès, n°19, p. 38).
Le MEPROBA prône donc la prépondérance et la primauté de la citoyenneté sur les autres identités, le respect mutuel des habitants, et l’observation rigoureuse des droits et devoirs du citoyen au Burundi. N’en déplaise à Monsieur Rugambarara, cette attitude n’est ni surannée, ni la cause ou le levain de l’antagonisme hutu-tutsi. Bien au contraire.
DROIT DE REPONSE
Alphonse RUGAMBARARA
A Monsieur NZOKIRANTEVYE
Monsieur le Directeur des Publications de l’A.C.P.B. ayant bien voulu me remettre votre appréciation sur mon article « La conscience ethnique » et votre n°20 de la « Voie du Progrès », je me permets de répondre à votre lettre par l’intermédiaire du « REVEIL ».
- Les deux phrases que vous citez vous semblent se référer au MEPROBA-Belgique (Voie du Progrès, n°19). Mais je vous dirais que leur contenu est le lien commun de beaucoup de burundais et pas du seul MEPROBA. Je n’en disconviens d’ailleurs pas. J’approuve ces assertions car citées tel que, elles n’ont rien de hutistes, de tutsistes. Ce qui me fait parler de hutistes et de tutsistes, c’est l’utilisations des termes hutu, tutsi en politique, le maintien dans les consciences de catégories appartenant à un autre âge, le recours à des tribus en dissolution comme vous le dites si bien à la page 10 de votre n°20.
Je ne pense pas avoir tronqué vos propos, même après vos explications. Car, quand bien même ce serait vos propos, ces assertions, dans mon endentement, ne peuvent point faire passer quelqu’un de tutsiste ou de hutiste, ce que vous vous défendez d’être ! Vous vous êtes peut-être senti visé par mon contexte. Resituons donc les phrases que vous citez dans votre lettre dans le contexte de votre « Voie du Progrès n°19 ».
- De la 1ère partie à la 4ème partie de la « Voie du Progrès n°19 », le MEPROBA se livre à une polémique avec d’une part « le collège professoral » autour d’une réflexion critique, à propos des récents événements de Ntega-Marangara et d’autre part, le PALIPEHUTU. Votre phrase de la page 38 (3ème partie : le cas MEPROBA) répond au « collège professoral » qui, « voudrait… que la démocratie soit édifiée en combattant tous les particularismes régionaux, ethniques, linguistiques et autres ». Tandis que votre phrase de la page 44 parle du cas PALIPEHUTU (4ème partie) et vous dites : « A propos de l’appellation PALIPEHUTU, on peut discuter pour savoir si les hutus du Burundi constituent un peuple, une ethnie ou une tribu » (soit dit en passant, j’ai parlé du cas général des composantes burundaises et non de l’appellation PALIPEHUTU).
Permettez-moi de vous dire que c’est ce genre de polémique (de la 1ère à la 4ème partie) entre thèses tutsistes du collège professoral (ex « les hutus détenaient le pouvoir politique, administratif et militaire ») et thèses hutistes du MEPROBA qui veut prouver le contraire (« il y aurait cependant 23 hutus parmi les 33 parlementaires de l’époque. Ce score (70%) reste modeste si l’on admet que la population du Burundi est hutu à plus de 80%... page 26 »), qui me fait craindre le pire ! Même en vous démarquant du PALIPEHUTU, vous allez sur leur terrain !
Si les intellectuels burundais de 1990 n’arrivent pas à dépasser ce genre de polémique, pour élever le débat politique par rapport à celui de 1961-1965, alors notre pays n’a plus rien à attendre d’eux, car ils vont encore nous plonger dans la nuit de l’incompréhension mutuelle et des massacres. C’est ce genre d’approche du problème burundais, Monsieur NZOKIRANTEVYE, qui est « le levain de l’antagonisme hutu tutsi » ! Vous parlez de dialogue utile, celui-là est inutile et surtout néfaste car il occulte les véritables problèmes de gestion de la vie socio-politique (Etat de droit, Droit de l’Homme, Développement) et se limite au pouvoir. Si nous ne nous rendons pas compte que les politiciens de 1962 à nos jours nous ont embarqué sur des luttes vouées à une impasse ou à une destruction mutuelle ; si nous ne nous rendons pas compte que notre train politique a déraillé et qu’il faut lui créer ou le diriger sur d’autres rails, il sera illusoire de parler de paix, de développement !
Mais je dois dire que votre n°20 m’a rempli de satisfaction car, le débat s’élève par rapport à votre n°19. Le dialogue que vous menez avec MWOROHA et NDIKURIYO sur leurs thèses est utile sur le plan de la recherche ethno-historique (s’il se cantonne à cela), bien que le peu de connaissances archéologiques, linguistiques, préhistoriques sur notre région ne permettent pas encore d’opter pour l’une ou l’autre thèse. Votre article « Nationalisme, Démocratie et Décolonisation » est des plus objectifs et se démarque de l’approche faite au n°19 par rapport aux antagonismes politiques de l’époque (« Pour Casablanca et Monrovia, la démocratie en tant que telle était un objectif secondaire. Et dans cette course au pouvoir, aucune des 2 coalitions féodalo-bourgeoises n’était souple à suffisance ou modérée, page 62).
Bien qu’il y ait des situations sociales créées par ces antagonismes de l’époque qu’il faut redresser, le dialogue politique actuel doit s’ouvrir sur d’autres critères plus objectifs, tenant compte des contradictions réelles de notre époque.